mardi 25 octobre 2016

Les Docks assassinés: l'affaire Jules Durand

4e de couverture: En cette fin d’été 1910, les docks du Havre sont bloqués par un conflit social qui oppose les ouvriers charbonniers à la toute-puissante Compagnie générale transatlantique. À distance ou infiltrés, le commissaire Albert-Eugène Henry et ses hommes collectent les informations, à l’affût de l’étincelle qui pourrait entraîner une flambée de violence. Jules Durand, fraîchement porté à la tête du syndicat des charbonniers, conduit la lutte.
Le 9 septembre, dans une rixe entre grévistes et non-grévistes, le « renard » (briseur de grève) Louis Dongé perd la vie. Le 11, Jules Durand est arrêté. Le conflit s’emballe, les événements s’enchaînent. Le commissaire Albert-Eugène Henry aura beau affirmer sa conviction de l’innocence de Durand, ce dernier sera inculpé pour complicité d’assassinat, guet-apens et crime avec préméditation. Petit à petit, il comprend qu’il n’est pas en charge d’une enquête de justice, mais bel et bien d’une enquête à charge conduite en sous-main par les tenants du pouvoir. La défense de René Coty, alors tout jeune avocat de 28 ans, n’y fera rien.

L'affaire Jules Durand à défrayée la chronique au début du siècle dernier, en 1910 plus précisément. 
Roger Martin y revient dans ce roman graphique (je dirais plutôt roman illustré, car les romans graphiques sont souvent assimilé au genre de la BD, alors qu'ici le texte est émaillé d'illustrations de Mako) de fort belle manière: celle d'un polar historique.

Il choisit comme narrateur, le commissaire Albert Eugène Henry, en charge de l'enquête à l'époque, et le flashback (puisque le roman commence en 1926, le commissaire Henry est à la retraite et se remémore cette enquête alors qu'on va enterrer Jules Durand, mort à l'asile quelques jours plus tôt. Il va alors dérouler pour nous, cette histoire, en nous plantant d'abord le décor (Le Havre) et les tenants et les aboutissants  de cette affaire sordide: la grève qui sévit depuis plusieurs jours, puis cette rixe entre grévistes et non grévistes qui va mettre le feu aux poudres. L'affaire d'une simple bagarre va tourner en affaire politique, dont Jules Durand, secrétaire du syndicat, va devenir le bouc-émissaire. 

Jules Durand, c'est le "Dreyfus des syndicats", diront certains et l'auteur le démontre bien dans ce récit passionnant, qui se lit comme un polar, et ce, même si j'ai mis un petit peu de temps pour comprendre tous les éléments complexes de cette histoire. Mais, dès que tout cela est mis en place, on ne peut le lâcher avant la fin, avant de savoir dans quelles conditions Jules Durand (défendu par un jeune avocat de 28 ans, René Coty (qui deviendra quelques années plus tard, président de la République),  va se retrouver condamné pour un meurtre qu'il n'a pas commandité. 



Ce qui rend ce roman encore plus passionnant et fait naître l'empathie pour ce pauvre Jules, ce sont les illustrations de Mako: d'un trait incisif et à l'encre noire, il nous dépeint cette histoire de fort belle manière. Mais comme je ne sais pas bien décrire les dessins, voilà pourquoi quelques images illustrent ce billet. (Désolé pour les photos un peu sombres, je n'avais pas trop de lumières hier soir). 

Derrière cette erreur judiciaire, c'est aussi le conflit social et les syndicats qui sont touchés et dont l'auteur parle aussi. C'est d'ailleurs le sujet du livre, car comme je le disais plus haut, c'est plus une histoire politique qu'une affaire judiciaire dont parle l'affaire Durand. 
Roger Martin, de manière ludique nous raconte cette histoire passionnante de façon très éclairé, et, le fait que ce soit un ancien commissaire qui parle des faits de cette affaire donne un poids supplémentaire, je trouve, à l'histoire et fait naître l'empathie chez le lecteur. . 
Le petit plus, c'est le dossier historique qui se trouve à la fin du roman: il contient une petite biographie de Jules Durand et remet dans le contexte chronologique toute l'affaire. 

Au final, j'ai passé un très fort moment avec ce roman graphique. Roger Martin,aidé du crayon de Mako, a su redonner vie à Jules Durand, qui ne doit pas être bien connu (mis à part au Havre, dont un boulevard porte son nom), mais qui mérite de revenir dans la lumière, car, comme le disent Johann Fortier (secrétaire du Syndicat général des ouvriers dockers du port du Havre) et Jacky Maussion (président de l'Institut CGT d'histoire sociale de Seine Maritime) dans la Postface du livre: 
"Pourquoi publier aujourd'hui un ouvrage sur une affaire ayant eu lieu il y a plus d'un siècle. La réponse est à chercher dans sa résonnance actuelle, toujours vive. Jules Durand n'est pas, en efffet, un syndicaliste du passé. Sa vie, son engagement, se confondent  avec celles et ceux qui, aujourd'hui, ont choisi de défendre les salariés en considérant qu'un recul social ne se négocie pas mais se combat. Il gênait les armateurs qui voulaient maintenir les charbonniers dans la misère et l'ignorance. Sa parole, pour ces gens là, ne pouvait qu'être subversive parce qu'elle remettait en cause leurs privilèges et leurs profits." (p.161)

Et c'est pourquoi Jules Durand est devenu "l'homme à abattre". 
Un roman graphique ludique et vivant, que je conseille à tous. 

Merci aux Editions de l'Atelier pour la découverte de ce grand homme qu'était Jules Durand.

Roger Martin & Mako: Les Docks assassinés: l'affaire Jules Durand, Editions de l'Atelier, 176 pages, 2016

Jules Durand

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